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Editorial du CRESFED

jeudi 3 novembre 2016

Quelques considérations sur l’évolution des droits des femmes en Haïti

Le féminisme, c’est quoi ? Des femmes en jupe hurlant contre les hommes ? Cette caricature a fait ses beaux jours. Certes, le mouvement est revendicatif. Le but est d’asseoir l’égalité entre hommes et femmes. Ce sont au fond des revendications égalitaristes nées de la révolte, ou plutôt de l’occupation américaine dans le cas d’Haïti. De la chute de Duvalier jusqu’à nos jours, qu’en est-il dans le pays ?

1986, c’est la grande ouverture pour les mouvements sociaux. Justement, les paris sont ouverts. Comment passer de la dictature duvaliériste à une démocratie, respectant et défendant les droits des hommes, et les droits des femmes ? Car le mouvement féministe s’insère au cœur de cette lutte. Le 3 avril 1986, elles sont 300 000 à se mobiliser dans la rue pour être intégrées dans la construction de la démocratie.

Mais les gouvernements se succèdent et se ressemblent. Ils n’apportent pas la stabilité politique et économique escomptée. Le coup d’Etat militaire de 1991 frappe particulièrement dur et utilise le viol pour affaiblir les mouvements de la société civile, et au premier plan celui des femmes. L’international s’en mêle. Sa mainmise sur le développement du pays instaure une nouvelle forme d’attentisme de la part de la population et met à mal l’économie haïtienne, opérant au final comme un frein. C’est dans ce contexte aux mille remous que le mouvement féministe persiste.

Quand même, des acquis, pour les droits des femmes, s’accumulent : la Commission Nationale de Vérité et de Justice pour les crimes contre les femmes commis pendant le coup d’Etat militaire – dont les recommandations resteront hélas lettre morte –, le Ministère à la Condition féminine et aux droits des femmes – dont l’existence est régulièrement remise en question et dont la présence fait parfois davantage office de décor – , la Convention interaméricaine pour la prévention, la sanction et l’élimination de toutes les formes de violences à l’égard des femmes, ratifiée par le Parlement haïtien – rencontrant toutefois des manquements dans son application et souffrant de l’absence d’une loi-cadre dans le domaine –, la Coordination nationale de plaidoyer pour la défense des droits des femmes, la révision de lois jugées discriminatoires envers les femmes, le principe du quota de 30% de femmes dans la version amendée de la Constitution et dans le décret électoral – même si la scène publique est encore principalement l’apanage des hommes et qu’aucune n’était en tête lors des précédentes élections législatives – et une loi adoptée pour la paternité responsable – une avancée pour les « pitit san papa ». Force est de constater que la persistance du mouvement féministe, ses nombreuses recherches, et sa nouvelle mode des concertations avec les autorités ont payé. Car, enfin, des instruments légaux.

Si les droits des femmes ont désormais leur théorie, ils sont partiellement mis en pratique. A l’école fondamentale, les filles sont plus nombreuses, mais des 14-15 ans, on ne les voit plus, et elles sont encore plus rares dans les universités. Les femmes, portant trop sur les épaules comme des poto mitan, sont principalement confinées à l’auto-emploi et au secteur informel du travail, n’ayant ainsi pas accès aux services sociaux, et elles souffrent souvent d’une forme d’exploitation. Partout dans le monde, on assiste à une montée des intégrismes. Les discours se radicalisent et les menaces se font lourdes sur les acquis en matière de santé sexuelle et reproductive. Les violences faites aux femmes sévissent toujours. Surtout, la représentation que se font les gens du rôle d’un homme et d’une femme dans la société est encore empreinte de stéréotypes discriminants pour les femmes. Il faut du temps pour changer les mentalités. Et une volonté politique aussi.

Le CRESFED n’est certes pas une organisation féministe en tant que telle, mais son combat pour consolider la démocratie va de pair avec les revendications féministes. Car une démocratie en est une seulement si les femmes en sont partie prenante.
L’organisation met ainsi sa main à la pâte, aux côtés d’organisations de défense des droits humains et d’organisation féministes, dans la consolidation de la démocratie, et le respect et la promotion des droits des femmes. Le CRESFED forme, femmes et hommes, et éveille leur conscience citoyenne. Des bourses, pour les soutenir. Une rubrique spécifique sur la « Condition féminine » dans la revue RENCONTRE. Des publications sur les femmes et la démocratie. Mais aussi des projets tenant compte de la dimension « genre », c’est-à-dire identifiant les spécificités basées sur le genre pour respecter et promouvoir une politique égalitaire de développement. Dans d’autres projets, le CRESFED appuie de manière ciblée des groupements de femmes. Ses activités se fondent dans la masse des actions féministes durant ces trois décennies, et sa lutte coïncide avec celle du mouvement féministe haïtien.

Le mouvement féministe haïtien a de remarquable sa résistance à toute épreuve. De tous les mouvements sociaux post-dictature, c’est sans doute celui qui a le mieux résisté. Il a tenu bon, malgré les coups durs, la mort de militantes phares après le 12 janvier 2010, les hauts et les bas dans l’histoire du pays. Aujourd’hui, il est quelque peu ralenti dans son élan, mais, il résiste.

Camille Chatelain